dimanche 6 mai 2012

La Structure Cachée des Dix Commandements - Partie 1


En préparation à Shavouot...

Soyons honnêtes : qu’est-ce que les Dix Commandements évoquent pour nous dans notre vie de tous les jours ? Sont-ils porteurs d’un sens, d’un message que nous devons toujours avoir en nous ?

Pourquoi avoir choisi ces commandements en particuliers ? Est-ce un ‘Top 10’ des ‘meilleurs’ morceaux de la Torah ?

Cette étude de Rav Fohrman est pour moi, un cas d’école de sa manière d’analyser la structure des textes de la Torah. Et nous ne sommes pas au bout de notre surprise…

1. Introduction


Lorsqu’un auteur veut faire passer un message à son lecteur, il a principalement deux moyens. L’un, évident, est le sens des mots et les phrases qu’ils composent. L’autre est transmis par la structure du texte → Cela va donner le thème global que l’auteur veut que l’on retienne.

Ceci est vrai pour la Torah. En essayant de trouver la structure de la Torah et des textes qui la composent, on peut faire apparaître une dimension, cachée jusqu’alors. Cette méthodologie – étude de la structure – est très puissante. Elle permet de donner du relief à un texte, et peut être appliquée à tous les textes de la Torah. En particulier, essayons de la mettre en application à un texte bien central de la Torah : les dix commandements.

Les dix commandements sont bien connus de tous. Ils ornent les arches des synagogues et font partie de notre quotidien. Mais si l’on fait un sondage et que l’on demande à chacun ce que les dix commandements représentent, les réponses que l’on aura seront probablement : « C’est un texte de base du Judaïsme », « C’est un symbole fort du Judaïsme ». Mais, soyons honnêtes : est-ce que les dix commandements ont un sens pour nous dans la vie de tous les jours ? Qui d’entre nous a récemment consulté les dix commandements pour savoir quelle conduite adopter ?

Il serait vraiment dommage de penser que Hachem ait mis les dix commandements dans la Torah uniquement pour le symbole qu’ils représenteraient. Non, forcément, ce texte ne peut être que fondamental et doit pouvoir m’éclairer tous les jours de ma vie. Comment ?

Déjà, ces dix commandements suscitent plusieurs questions :
Pourquoi y-a-t-il des commandements spécifiques parmi d’autres ? En d’autres termes : quelle(s) spécificité(s) ces commandements ont-ils pour que Hachem ait choisi de les sortir du lot des six-cent-treize mitsvot ?
Pourquoi avoir choisi ceux-ci en particulier ? Si l’on vous demandait de faire votre  liste du ‘Top 10’ des mitsvot, quelle est la probabilité que vous auriez trouvé les mêmes commandements que ceux que Hachem a choisis ?
D’ailleurs est-ce vraiment une liste ‘Top 10’ ou bien y-a-t-il une unité, un ensemble dans cette liste? Et s’il y avait une unité dans cette liste, quel serait le message que D.ieu voudrait transmettre au travers des dix commandements ?

Il existe une théorie assez répandue chez nos sages qui consiste à considérer les dix commandements comme une sorte de résumé, d’échantillon, de table des matières de la Torah entière (dans sa partie législative) : Il est difficile de garder en tête six-cent-treize commandements, par contre, s’en souvenir de dix est chose plus réalisable par le commun des mortels. Cette théorie des dix commandements comme étant des têtes de chapitres est très attractive. Comment démontrer si elle est vraie ? Ou plutôt, comment faire, quel type d’expérience peut-on mettre en place, afin de vérifier si cette théorie est bonne ?

2. Si vous deviez écrire les dix commandements


Imaginez un instant que vous fassiez partie d’une équipe éditoriale et que vous travailliez pour une maison d’édition renommée, très connue dans le monde. Votre patron entre dans la pièce où vous vous trouvez avec le reste de l’équipe. Il est tout excité, il court vers vous, en brandissant un livre. Il s’agit d’un projet de livre qu’il vient de recevoir et il est certain que ce livre va être le plus grand best seller de tous les temps. L’auteur de ce livre n’est autre que D.ieu, et le livre en question est la Bible. Et comme tout livre, celui-ci est accompagné d’une table des matières. Le livre contient six-cent-treize commandements pour ce qui est de sa partie législative (la partie narrative nous intéresse peu pour notre expérience). D.ieu a choisi dix commandements parmi les six-cent-treize pour en faire une table des matières et l’équipe éditoriale dont vous faites partie doit revoir ce choix et l’approuver si vous trouvez qu’il est pertinent.

Comment faire ? Comment vous y prendre pour juger un tel choix de table des matières? Il vous faut définir des critères, des règles. En d’autres termes, il vous faut déjà répondre à la question suivante : Quels sont les critères, les règles à respecter, pour qu’une mitsva fasse partie des dix commandements ? [1]

Oublions que c’est la Torah que nous avons entre les mains et reposons-nous cette question, différemment : Comment peut-on considérer qu’une table des matières est de bonne qualité ? La réponse est simple : il faut qu’elle représente fidèlement le livre ; lorsque je la parcours, je dois être en mesure de saisir le sens global du livre, l’idée générale que l’auteur veut faire passer. Ceci doit donc s’appliquer également à la table des matières de la Torah.

Par conséquent, si la Torah comporte des commandements de justice sociale, les dix commandements doivent aussi en avoir une représentation. De même pour les commandements concernant les fêtes juives, les lois entre hommes, et entre hommes et D.ieu. Bref, la table des matières de la Torah doit être un bon échantillonnage de l’ensemble des lois de la Torah. Mais ce n’est pas suffisant, ce ne doit pas seulement être une sélection des meilleurs morceaux  : elle doit aussi être le vecteur d’un message général, celui de la Torah dans son ensemble. Elle doit donc avoir une dynamique : la position de chacun des commandements doit aussi être porteur de sens…

Voici donc notre critère n°1 d’une bonne table des matières:

Critère n°1 : Les dix commandements doivent être représentatifs d’une catégorie de lois de la Torah : ils doivent donner une idée globale de l’objet législatif de la Torah dans son ensemble.

Il est également logique de considérer que les commandements sélectionnés doivent être des fondamentaux. En effet, ils sont des têtes de chapitres et sont donc censés avoir de nombreuses ramifications. Un commandement doit en représenter environ soixante fois plus afin de couvrir l’ensemble du corps juridique de la Torah.

Par exemple : il existe une mitsva qui exige que l’on apporte du sel avec tout sacrifice que l’on amenait au Temple. Cette mitsva est, certes, importante, mais n’a pas d’impact assez large pour pouvoir faire partie des dix commandements ; on ne voit pas soixante dérivés ou permutations de ce commandement : ce n’est a priori pas un bon candidat pour faire partie des dix commandements.

Voici notre critère n°2 d’une bonne table des matières:

Critère n°2 : Les dix commandements doivent être des lois fondamentales. Ils ne doivent pas être trop spécifiques.

De plus, étant donné que nous n’avons droit qu’à un nombre limité d’éléments pour notre table des matières, il faut à tout prix éviter les répétitions. Donc si on a déjà un commandement représentatif d’une certaine branche de mitsvot, on ne doit pas avoir un deuxième commandement traitant du même sujet.

Voici notre critère n°3 d’une bonne table des matières:

Critère n°3 : Chaque commandement doit traiter d’un sujet, d’un principe fondamental qui lui est propre. Aucune redondance n’est autorisée.

Enfin, les tables de matières ont des exigences d’ensemble, de structure. Si, comme on l’a vu, chaque élément de la table des matières doit remplir certains critères, la table des matières dans son ensemble doit être construite de telle sorte que l’on puisse en identifier une structure. Les éléments doivent être liés. Si le commandement B suit le commandement A, il doit y avoir une raison, de même, si les tables de la loi sont au nombre de deux, il y aussi forcément une raison.

Voici notre critère n°4 d’une bonne table des matières:

Critère n°4 : La structure de la table des matières ne doit pas être anodine. Elle doit avoir un sens en elle-même.

3. Irrégularités des dix commandements


Nos critères étant énoncés, le moment est venu de parcourir les dix commandements – un-à-un – et de vérifier s’ils sont de bons éléments de tables des matières.


Commandement #1 :
אָנֹכִי ה' אֱלֹקֶיךָ, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים 
Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, d'une maison d'esclavage.
Ce commandement correspond à nos critères. Il est basique, fondamental ; c’est peut-être le commandement le plus fondamental de la Torah.

Les commentateurs de la Torah ont posé une question au sujet de ce commandement : Est-ce vraiment un commandement ? Que cela nous enjoint-il à faire ? Il s’agit plutôt d’une affirmation, d’une déclaration !
Cette question n’a en vérité pas lieu d’être. En effet, lorsque nous parlons de dix commandements, il s’agit d’un abus de langage. Le terme hébraïque employé par la Torah pour parler des « dix commandements » est (Dévarim 4:13) « עֲשֶׂרֶת הַדְּבָרִים » qui signifie en réalité : les dix paroles ou encore les dix choses. Bref, les dix commandements ne sont pas des commandements, mais plutôt des principes. Et ceci n’est pas seulement vrai pour le premier commandement ! Même ceux qui ont vraiment l’air d’être des lois à respecter tels que « לֹא תִרְצָח » - « Ne tue pas » ou « לֹא תִגְנֹב » - « Ne vole pas » sont en fait des principes. En effet, lorsque la Torah veut interdire de faire une certaine action, le terme utilisé est « אַל » - « ne…pas »[2]. Le terme « לֹא » est plus général qu’un simple « אַל ». Et donc, il ne faut pas comprendre « לֹא תִרְצָח » simplement comme étant l’injonction: « Ne tue pas » ; « לֹא תִרְצָח » signifie en quelques sortes « Non au meurtre » qui est beaucoup plus large qu’un ordre de ne pas tuer. Vu de cette manière « לֹא תִרְצָח » a bien des déclinaisons : tu ne tueras pas, le meurtre doit être absent de chez toi, de la société, tu ne dois pas tuer etc. Les dix commandements sont en fait une ligne directrice que D.ieu souhaite que nous suivions dans notre vie. Un commandement est un principe.

Commandement #2 :
לֹא-יִהְיֶה לְךָ אֱלֹקִים אֲחֵרִים, עַל-פָּנָי. 
Tu n'auras point d'autre dieu que moi.
Ce commandement est basique, fondamental. Mais n’y voyez-vous pas une certaine ressemblance avec le premier commandement ? Ce commandement paraît donc être superflu : n’est-il pas finalement qu’une conséquence du premier commandement ?

Commandement #3 :
לֹא תִשָּׂא אֶת-שֵׁם- ה' אֱלֹקֶיךָ, לַשָּׁוְא
Tu n'invoqueras point le nom de l'Éternel ton Dieu à l'appui du mensonge
Quelle(s) objection(s) peut-on avoir sur le choix de ce commandement ?
Aucune sur l’ordre lui-même, il est plutôt joli. Cependant, on a l’impression qu’il s’agit d’un commandement sans grande envergure, sans beaucoup de ramifications. Les critères #2 et #3 ne semblent pas respectés.

D’ailleurs, ce sentiment est renforcé si l’on regarde l’interprétation rabbinique de ce commandement rapportée dans le traité Shévou’ot du Talmud Bavli.  
Il y a une obligation, lorsque l’on jure devant la justice, de ne jurer que sur le nom de D.ieu et sur rien d’autre. En effet, cette obligation est là pour signifier que le témoignage que l’on fait a la même caractéristique que D.ieu lui-même dans sa dimension de Vérité - אמת. Jurer sur une autre entité est dès lors blasphématoire ! Cela signifierait qu’il existerait plus vrai que D.ieu…
Les rabbins comprennent ce troisième commandement comme suit. Il existe des situations où il n’est pas nécessaire de jurer. Dans une telle situation, jurer ne servirait à rien (c’est ce qu’on appelle « שבועת ‏שוא » - Shévou’at Shav à ne pas confondre avec « שבועת שקר » - Shévou’at Shékère - « Faux témoignage »). C’est de cela que parle notre troisième commandement. Il nous interdit par exemple de jurer qu’ « une table est une table ».

Ceci n’a pas l’air vraiment large ou générique comme loi. Que fait-il parmi les dix commandements ? Quelles ramifications a-t-il ?

Commandement #4 :
זָכוֹר אֶת-יוֹם הַשַּׁבָּת, לְקַדְּשׁוֹ. 
Pense au jour du Sabbat pour le sanctifier.
Ce commandement est basique, fondamental. Il n’est redondant avec aucun autre commandement et contient beaucoup de sous-catégories. Tout d’abord, on peut voir à travers ce commandement les nombreuses lois concernant le jour de Shabbat et puis il peut également représenter toutes les lois concernant les différentes fêtes du calendrier Juif.
Donc, on garde ce commandement : il répond à nos critères.

Commandement #5 :
כַּבֵּד אֶת-אָבִיךָ, וְאֶת-אִמֶּךָ
Honore ton père et ta mère
Respecter ses parents est fondamental. Il n’est redondant avec aucun autre commandement. On garde ce commandement : il répond à nos critères.

Commandement #6 :
לֹא תִרְצָח
Ne tues pas
Ne pas tuer est fondamental. Il est à la base d’une société viable. Il n’est redondant avec aucun autre commandement. On garde ce commandement : il répond à nos critères.


Commandement #7 :
לֹא תִנְאָף
Ne commets point d’adultère
Ne pas commettre l’adultère est fondamental. Il est à la base d’une société viable. Il n’est redondant avec aucun autre commandement et possède de nombreuses ramifications telles que les lois concernant les unions interdites. On garde ce commandement : il répond à nos critères.

Commandement #8 :
לֹא תִגְנֹב
Ne commets point de larcin
Ne pas voler est fondamental. Il est à la base d’une société viable. Il n’est redondant avec aucun autre commandement.  On est prêt à donner notre accord pour garder ce commandement mais il y a un petit problème…qui vient de l’interprétation rabbinique de ce commandement.

En effet, nos rabbins enseignent que ce commandement a été énoncé au sujet du vol de personne, du kidnapping. La Torah interdit le vol de manière plus général, mais à une autre occasion que les dix commandements. Elle le fait dans Vayikra 19:11 « לֹא תִּגְנֹבוּ » - « Vous ne commettrez pas le vol »). Le kidnapping n’est finalement qu’un dérivé du commandement général concernant le vol…

Dès lors, ce commandement ne correspond pas à nos critères : il est trop spécifique, nous aurions plutôt choisi la version plus générale du vol au lieu de sa version spécifique du kidnapping.

Commandement #9 :
לֹא-תַעֲנֶה בְרֵעֲךָ עֵד שָׁקֶר
Ne rends point au sujet de ton prochain un faux témoignage
Ce commandement est joli, certes. Il est important pour le bon fonctionnement des relations humaines, pour la notion de vérité dans le monde. Mais il a l’air très restreint ! Pourquoi ne pas avoir plutôt choisi le commandement « Ne commets point le mensonge »[3] ? Cela aurait été plus large et aurait inclus également l’interdit du faux-témoignage ! 

Commandement #10 :
לֹא תַחְמֹד
Ne convoite pas
Encore une fois, nous avons à faire à un joli commandement. Il est plein de sens. Mais nous ne l’aurions pas choisi pour faire partie des têtes de chapitre de la Torah. D’apparence, il s’agit d’une loi dérivée de « ne pas voler ».

Nous aurions pu trouver tellement de lois fondamentales à la place de ce « לֹא תַחְמֹד » ! Par exemple : (Vayikra 19:14) « וְלִפְנֵי עִוֵּר, לֹא תִתֵּן מִכְשֹׁל » - « Ne place pas d’obstacle sur le chemin d’un aveugle », ou (Devarim 16:20) « צֶדֶק צֶדֶק, תִּרְדֹּף » - « C’est la justice, seule la justice que tu dois rechercher » ou bien encore (Vayikra 19:16) « לֹא תַעֲמֹד עַל-דַּם רֵעֶךָ » - « Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » ; nous aurions pu parler de la Téfila, de la Tsédaka etc. pourquoi alors avoir choisi le commandement de « לֹא תַחְמֹד » ?



Alors imaginons que nous sommes à cette réunion, avec les décideurs de cette maison d’édition. On consigne donc toutes les objections que nous avons soulevées et on les renvoie par Fedex à l’auteur qui, rappelons-le, n’est autre que D.ieu. Le retour ne se fait pas attendre. D.ieu nous renvoie sa nouvelle version des dix commandements. Nous ouvrons le courrier, et là, quelle déception ! Les dix commandements n’ont pas changé d’un iota. D.ieu a quand même rajouté un commentaire en rouge : « Cette table des matières a un sens ; à vous d’en découvrir le secret, le message que j’ai voulu faire passer ».

Alors peut-être nous sommes-nous tromper depuis le début ; peut-être que la « théorie de la table des matières » est fausse !
Mais il y a une autre possibilité. Peut-être que cette théorie est vraie mais que nos critères de jugement (fondamental, non redondant etc.) étaient insuffisants ! Peut-être que D.ieu a une vision différente de la nôtre de ce que doit être Sa table des matières, dans sa structure, dans le message qu’il veut y faire passer…

Alors il faut regarder la structure du texte. Car, comme nous l’avons dit en introduction, la structure véhicule un message. Analysons dans ce sens les dix commandements.


Traduit librement depuis:


[1] Avant de continuer, précisons que vous ne faites pas partie du département Marketing de votre entreprise. Le critère « attirant », ou « permet d’augmenter les ventes » importe peu. Ici, on cherche le sens, on ne cherche pas à vendre le livre.
[2] Comme par exemple (Béréchit 15:1) « אַל-תִּירָא » - « n’aies pas peur » ou encore (Béréchit 18:3) « אַל-נָא תַעֲבֹר » - « ne passe pas s’il te plaît ».
[3] Ce commandement existe, bien évidemment, dans la Torah : (Chemot 23:7 « מִדְּבַר-שֶׁקֶר, תִּרְחָק »)



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