lundi 1 juillet 2013

Brève Histoire du Monde (8/11) - Vengeance dans la Vigne

Par le passé dans cette série, nous avons vu toute une suite de parallèles entre ce qu’on avait appelé la Création (Chapitres 1-3 de Béréchit) et la Recréation (Chapitres 8-11 de Béréchit).  On avait vu que tous ces parallèles se terminent avec les histoires de ‘Noa’h et la Vigne’ et de ‘La Tour de Babel’ qui sont toutes les deux des échos de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance. Nous avons listé les parallèles textuels qui existent entre ces différents épisodes (cours n°5) sans en tirer de leçon. Le moment est maintenant venu d’essayer d’expliquer ce que cela signifie.
Voici ma théorie afin que vous voyiez où je veux en venir :
Les problèmes, difficultés, challenges auxquels ont été confrontés les acteurs de l’histoire du Gan ’Eden sont les mêmes que ceux des histoires de ‘Noa’h et la Vigne’ et de ‘La Tour de Babel’. C’est ça que les nombreux parallèles nous amènent à penser : ces trois histoires ont les mêmes thèmes. Ce ne sont pas forcément les mêmes expressions ou manifestations de ces thèmes, mais les problèmes, fondamentalement, restent les mêmes[1]. Dans le présent article, nous nous concentrerons sur l’histoire de ‘Noa’h et la Vigne’.

Lecture : du drash au pchat


Je vais vous demander d’oublier tout ce que l’on sait de cette histoire. On va la lire comme si c’était la première fois et on va soulever les problèmes que le texte nous pose[2]. Déjà rappelons le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire.

Le contexte

Noa’h sort de la Téva, puis Hachem établit la supériorité de l’Homme sur les animaux. Hachem bénit les hommes et leur ordonne de se fructifier (Béréchit 9:1 et 9:7) « פְּרוּ וּרְבוּ ». Il fait avec eux l’alliance de l’Arc-en-Ciel : Il les rassure en leur promettant qu’il n’y aura plus jamais de déluge, ils peuvent donc penser à avoir des enfants plus sereinement afin d’accomplir l’ordre divin qu’ils viennent de recevoir[3]. Et c’est précisément à ce moment-là que l’histoire de ‘Noa’h et la Vigne’ commence.

J’aimerais, avant de relire le texte, partager avec vous un enseignement de ’Hazal dans un midrash au sujet de cette histoire. Un midrash est toujours à prendre avec des pincettes. Il ne représente pas le pchat – le sens simple des mots. Ils sont souvent écrits sous forme métaphorique. En lisant un midrash il faut toujours se poser la question suivante : « Qu’est-ce qui a poussé ’Hazal à donner cet enseignement ? Qu’ont-ils relevé dans le texte qui leur ait mis la puce à l’oreille ? ». Dites-vous bien que nos sages ne sont pas des illuminés ; ils ne disent pas des choses gratuitement. A nous de retrouver les problèmes qu’ils se sont posés et qui les ont poussés à écrire leur midrashim.

Voici donc un midrash qui a l’air étrange au sujet de notre histoire qui, en résumé, raconte que Noa’h a planté une vigne, a bu du vin, s’est dénudé dans sa tente ; son fils ’Ham l’a vu, a appelé ses frères qui ont recouvert leur père ; Noa’h maudit Cana’an le fils de ’Ham et bénit ses deux autres fils.

Les sages (cf. Rachi sur 9:22) disent que ’Ham n’a pas fait que voir. Il a fait quelque chose de bien plus terrible.


Certains disent qu’il l’a castré, d’autres disent qu’il l’a sodomisé (TB Sanhedrin 70a)   [il l’aurait violé alors qu’il était saoul]

Cela semble « fantastique ». D’où nos sages savent-ils cela ? Le passouk ne dit rien de cela ! Il dit plutôt que ’Ham a vu la nudité[4]

Lecture attentive

L’histoire (Béréchit 9:18-29) commence par une « section de générations », comme nous l’avons déjà vu :
יח וַיִּהְיוּ בְנֵי-נֹחַ, הַיֹּצְאִים מִן-הַתֵּבָה--שֵׁם, וְחָם וָיָפֶת; וְחָם, הוּא אֲבִי כְנָעַן. 
18 Les fils de Noa’h qui sortirent de l'arche furent Chem, ’Ham et Yefeth; Et ’Ham était le père de Cana’an.
יט שְׁלֹשָׁה אֵלֶּה, בְּנֵי-נֹחַ; וּמֵאֵלֶּה, נָפְצָה כָל-הָאָרֶץ. 
19 Ce sont là les trois fils de Noa’h ; et à partir  d’eux, toute la terre fut peuplée.
1ère question :
On nous cite les 3 enfants de Noa’h : Pourquoi donner aussi le nom du fils de ’Ham qui est de la génération suivante ? Certes, on aura besoin de savoir qui est Cana’an dans la suite de l’histoire, lorsqu’il se fera maudire : mais pourquoi l’avoir mentionné dès maintenant ?

2ème question :[5]
Je crois qu’on sait tous compter jusqu’à trois : pourquoi la Torah, après avoir donné les noms des trois enfants de Noa’h, nous précise-t-elle qu’ils sont bien au nombre de trois ?

Continuons.
כ וַיָּחֶל נֹחַ, אִישׁ הָאֲדָמָה; וַיִּטַּע, כָּרֶם. 
20 Noa’h commença, homme de la terre, et il planta une vigne.
3ème question :
Nous avions déjà relevé la difficulté (cours n°5) que l’on a à traduire l’expression « וַיָּחֶל נֹחַ ». Le terme « וַיָּחֶל » existe par ailleurs dans la Torah (Bamidbar 25:1) et là, il signifie aussi « commencer ». Mais que Noa’h commença-t-il ?

Le Ramban sur place dit :
Le Ramban propose de traduire ce verset par « Noa’h commença à planter une vigne » dans le sens où cela viendrait appuyer le fait que Noa’h fut le premier à planter une vigne de manière organisée.

Le problème avec cette traduction est le suivant : si la Torah voulait vraiment dire cela, elle aurait dû s’exprimer de manière différente. Quelque chose comme « וַיָּחֶל נֹחַ, אִישׁ הָאֲדָמָה; ליִטַּע, כָּרֶם », c’est-à-dire que le verbe « planter » se rapporte au verbe « commencer ». Mais là ; tel que le passouk est écrit, on a bien l’impression qu’il y a deux actions distinctes : il a commencé et il a planté[6] ! La question que l’on a posée reste entière…

Continuons.
כא וַיֵּשְׁתְּ מִן-הַיַּיִן, וַיִּשְׁכָּר; וַיִּתְגַּל, בְּתוֹךְ אָהֳלֹה. 
21 Il but de son vin et s'enivra, et il se mit à nu au milieu de sa tente.
כב וַיַּרְא, חָם אֲבִי כְנַעַן, אֵת, עֶרְוַת אָבִיו; וַיַּגֵּד לִשְׁנֵי-אֶחָיו, בַּחוּץ. 
22 Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et alla dehors l'annoncer à ses deux frères.
כג וַיִּקַּח שֵׁם וָיֶפֶת אֶת-הַשִּׂמְלָה, וַיָּשִׂימוּ עַל-שְׁכֶם שְׁנֵיהֶם, וַיֵּלְכוּ אֲחֹרַנִּית, וַיְכַסּוּ אֵת עֶרְוַת אֲבִיהֶם; וּפְנֵיהֶם, אֲחֹרַנִּית, וְעֶרְוַת אֲבִיהֶם, לֹא רָאוּ. 
23 Sem et Japhet prirent la couverture, la déployèrent sur leurs épaules, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père, mais ne la virent point, leur visage étant retourné.
כד וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ; וַיֵּדַע, אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן. 
24 Noé, réveillé de son ivresse, connut ce que lui avait fait son plus jeune fils,
כה וַיֹּאמֶר, אָרוּר כְּנָעַן:  עֶבֶד עֲבָדִים, יִהְיֶה לְאֶחָיו. 
25 et il dit : "Maudit soit Canaan! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères!"
4ème question :
Ce dernier verset devrait éveiller en vous un sentiment d’injustice. Qu’a fait Cana’an dans cette histoire pour mériter un tel sort ? Si c’est ’Ham qui a fauté, pourquoi est-ce son fils qui est maudit ?

5ème question :
La malédiction est un acte très fort. Seul D.ieu prononce ce type de malédiction. Aucun autre homme dans la Torah ne maudit un autre homme ! Le seul autre exemple que l’on trouve est Ya’akov qui, en parlant à ses fils Réouven et Chim’on dira (Béréchit 49:7):
ז אָרוּר אַפָּם כִּי עָז, וְעֶבְרָתָם כִּי קָשָׁתָה
7 Maudite soit leur colère, car elle fut malfaisante et leur indignation, car elle a été funeste!
Mais là, Rachi fait une observation très à propos :

Maudite soit leur colère, car elle est brutale. Même à l’heure des reproches, ce n’est pas eux que maudit Ya‘aqov, mais leur colère (Béréchit Rabba 99, 6). C’est ce que dira Bil’am : « comment maudirais-je celui que D.ieu n’a pas maudit ? » (Bamidbar 23, 8).

Bref, Noa’h est le seul homme, dans la Torah entière, à maudire un autre homme. Et quel homme ?! Son propre petit fils  ! ’Ham a dû faire quelque chose de très grave pour mériter une telle sentence pour sa descendance à jamais ! Que s’est-il passé pour que Noa’h ait emprunté les mots de D.ieu dans cette malédiction ?

Terminons enfin notre première lecture :
כו וַיֹּאמֶר, בָּרוּךְ ה׳ אֱלֹקֵי שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹ. 
26 Il ajouta: "Soit béni l'Éternel, divinité de Sem et que Canaan soit leur esclave,
כז יַפְתְּ אֱלֹקִים לְיֶפֶת, וְיִשְׁכֹּן בְּאָהֳלֵי-שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹ. 
27 que Dieu agrandisse Japhet! Qu'il réside dans les tentes de Sem et que Canaan soit leur esclave!
כח וַיְחִי-נֹחַ, אַחַר הַמַּבּוּל, שְׁלֹשׁ מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה. 
28 Noé vécut, après le Déluge, trois cent cinquante ans.
כט וַיִּהְיוּ, כָּל-יְמֵי-נֹחַ, תְּשַׁע מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה; וַיָּמֹת.  {פ}
29 Toute la vie de Noé avait été de neuf cent cinquante ans lorsqu'il mourut.

Bien. Nous avons déjà posé pas mal de questions sur la compréhension simple de cette histoire. Faisons une petite pause pour voir ce qu’en disent nos sages…

Ce qu’en disent ’Hazal

Plusieurs midrashim commentent cette histoire de ‘Noa’h et la Vigne’. Nous en avons déjà vu un, qui nous paraissait étonnant au sujet de ce que ’Ham aurait fait subir à son père. Voyons-en quelques autres.

Béréchit Rabbah 36:7




Rabbi Berakhya dit: Noa’h a enduré beaucoup d'angoisse dans l'arche, car il ne disposait pas d'un jeune fils qui aurait pu l'aider. Il se dit: «Quand je sortirai de l'arche, j’aurai un autre enfant, qui prendra soin de moi ». Plus tard, quand ’Ham a commis cet acte [probablement la castration de Noa’h], Noa’h lui dit: « Tu m'as empêché d'avoir un jeune enfant qui me servirait. C’est pourquoi cet homme sera le serviteur de ses frères, à qui incombe la responsabilité de prendre soin de moi ». (…)
Rabbi Houna dit: Noa’h a déclaré à ’Ham: « Tu m’as empêché d'avoir un quatrième enfant. Par conséquent, je maudis ton quatrième enfant [Cana’an].
Rabbi Hiya bar Abba dit: Le chien et ’Ham étaient les seuls qui avaient des relations sexuelles avec leurs femmes quand ils étaient dans l'arche  (...)


Quel intérêt ont ces différentes histoires racontées par ces sages pour nous aider à comprendre l’histoire de ‘Noa’h et la Vigne’ ?
Voyons encore un autre midrash intéressant – rapporté par Rachi sur 9:25.

Béréchit Rabbah 36:5


Et pourquoi ’Ham l’a-t-il castré ? Il a dit à ses frères : « Adam a eu deux fils, dont l’un a tué l’autre pour l’héritage du monde. Notre père a déjà trois fils, et il en voudrait encore un quatrième ?! »

… à la lumière du Gan ’Eden

Elément de contexte

Pour bien comprendre une histoire, il est toujours important de la placer dans son contexte. Quel est le dernier commandement que D.ieu a enjoint Noa’h d’accomplir ?

Il s’agit du verset suivant (Béréchit 9:1) :
א וַיְבָרֶךְ אֱלֹקִים, אֶת-נֹחַ וְאֶת-בָּנָיו; וַיֹּאמֶר לָהֶם פְּרוּ וּרְבוּ, וּמִלְאוּ אֶת-הָאָרֶץ. 
1 D.ieu bénit Noa’h et ses fils, en leur disant: "Croissez et multipliez, et remplissez la terre!
Eh oui ! En effet, la mitsva de « פְּרוּ וּרְבוּ »  - d’avoir des enfants n’a pas été donnée qu’aux « jeunes », à savoir : les enfants de Noa’h ! Elle a aussi été donnée à Noa’h lui-même…
Connaissant Noa’h et sa persévérance pour accomplir les ordres d’Hachem, que pensez-vous que Noa’h ait en tête à partir du moment où D.ieu lui demande d’avoir des enfants ?
A mon avis, il ne pense qu’à une chose : il attend impatiemment le moment où il pourra accomplir la volonté divine. Il souhaite avoir un quatrième enfant.

Et c’est à ce moment précis que la Torah prend le soin de rappeler que Noa’h a trois fils, plus précisément, Noa’h n’a que trois fils. Et pas un de plus. Et le verset précise tout de suite qu’il n’y en aura pas plus, puisqu’il est dit « ּמֵאֵלֶּה, נָפְצָה כָל-הָאָרֶץ » que « d’eux la terre fut peuplée »… Pourquoi cela ? Pourquoi Noa’h n’aura-t-il plus d’autre enfant ? Peut-être bien à cause de ce qui va suivre…

Générations qui divergent

Nous avons vus, il y a quelques temps[7], que de même que l’histoire de Noa’h et de la Vigne commence par une section parlant de générations et de divergence, ainsi en est-il pour l’histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden.

Relisons rapidement cette section dans l’histoire du Gan ’Eden (Béréchit 2:4) :
ד אֵלֶּה תוֹלְדוֹת הַשָּׁמַיִם וְהָאָרֶץ, בְּהִבָּרְאָם:  בְּיוֹם, עֲשׂוֹת ה׳ אֱלֹקִים--אֶרֶץ וְשָׁמָיִם. 
4 Telles sont les générations du ciel et de la terre, lorsqu'ils furent créés; à l'époque où l'Éternel-Dieu fit une terre et un ciel.
Un tout petit peu plus loin, on trouve les « divergences » (Béréchit 2:10) :
י וְנָהָר יֹצֵא מֵעֵדֶן, לְהַשְׁקוֹת אֶת-הַגָּן; וּמִשָּׁם, יִפָּרֵד, וְהָיָה, לְאַרְבָּעָה רָאשִׁים. 
10 Un fleuve sortait d'Éden pour arroser le jardin; de là il divergeait et formait quatre bras.
Nous avions expliqué que les fleuves d’avant le déluge étaient l’équivalent des nations après le déluge. En effet, avant le déluge, le focus est donné au monde naturel, à la terre : ce qui nous intéresse alors est la division topographique du monde. Tandis qu’après le déluge, l’homme ayant un rôle dominant sur la Nature, il est dorénavant important de connaître la division géopolitique du monde. Les nations qui divergent sont donc l’équivalent des fleuves qui divergent…

Mais, une petite minute !
Combien y-a-t-il de fleuves ? Il y en a un qui se divise en quatre fleuves. On devrait s’attendre à avoir un homme se divisant en quatre hommes formants des nations.
Mais combien a-t-on d’enfants de Noa’h ? Trois, alors qu’on s’attendait à en avoir quatre…

Le pouvoir/désir de créer

Noa’h le voulait, ce quatrième enfant. Il en avait reçu le commandement ! C’est pour cela que le passouk nous annonce tout de suite la couleur : les enfants de Noa’h sont au nombre de trois, et pas un de plus. Au contraire, le passouk nous informe qu’un enfant de la deuxième génération tente de jouer le rôle de ce quatrième enfant que Noa’h n’aura jamais. Il s’agit de Cana’an, lui-même quatrième fils de ’Ham. En quelques sortes, ’Ham cherche à avoir la double portion du békhor en plaçant son fils parmi les quatre nations. Le monde sera partagé en quatre, comme cela était prévu ; mais ’Ham veut deux parts pour sa famille : une pour lui, une pour son fils. Voilà donc quelques éléments qui ont dû pousser nos sages à écrire les midrashim que nous avons cités plus haut.

Nous pouvons déjà voir que le thème central de l’histoire de Noa’h et la Vigne est la capacité, le désir de créer. Intéressant, non ? Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Eh oui, c’est exactement le thème que nous avons relevé dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance[8].

Nous allons maintenant relire encore une fois l’histoire de Noa’h et la Vigne (Béréchit 9:20-29). Cette fois, on aura à l’esprit l’histoire de l’Arbre de la Connaissance : il faudra relever les parallèles entre ces histoires (dont une bonne partie a déjà été identifiée au cours n°5) et, surtout, en donner une signification.

Relire l’histoire avec l’Eden en tête

1.       « וַיָּחֶל נֹחַ » - « Noa’h commença »
Quel est le parallèle de cette expression dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance ?
« וַיָּחֶל נֹחַ » constitue la première action après la mise en contexte des générations etc. Alors relisez l’histoire du Gan ’Eden rapidement et relevez la première action qui est faite après la description du contexte. Qui l’a faite ? Vous l’avez ?
Il s’agit de la création de l’homme par Hachem (Béréchit 2:7): « וַיִּיצֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הָאָדָם » - « D.ieu créa l’homme ». Les mots « וַיָּחֶל » et « וַיִּיצֶר » semblent être mis en parallèle. Peut-être que cela signifie que Noa’h est en train de commencer quelque chose, en train de créer un homme comme D.ieu quand il était dit de Lui « וַיִּיצֶר ». Noa’h était en train d’accomplir la dernière mitsva qu’il avait reçue de D.ieu ; Noa’h était occupé par sa créativité.

2.       « אִישׁ הָאֲדָמָה » - « homme de la terre »
Ce parallèle évident avec l’expression (Béréchit 2:7) « עָפָר מִן-הָאֲדָמָה » - « poussière de la terre » est fascinant. Noa’h est présenté comme l’homme (qui provient) de la terre – ceci est un renvoi presque explicite à l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (où Adam est décrit comme provenant de la poussière de la terre), et donc, à son thème.

3.       « וַיִּטַּע, כָּרֶם » - « Il planta une vigne »
Quelle est l’action qui suit immédiatement celle de la création (« וַיִּיצֶר ») de l’homme ? Il s’agit de (Béréchit 2:8) : « וַיִּטַּע ה׳ אֱלֹקִים, גַּן-בְּעֵדֶן » - « D.ieu planta un jardin dans l’Eden ». On retrouve exactement le même mot. Noa’h plante son propre « jardin ». Il est préoccupé par sa volonté, son devoir de créer – à l’image de D.ieu Lui-même qui planta son Jardin au moment de créer l’homme.

4.       « וַיֵּשְׁתְּ מִן-הַיַּיִן, וַיִּשְׁכָּר » - « Il but de son vin et s’enivra »
Là, le parallèle devient moins évident à trouver. En buvant, Noa’h entre dans un état d’inconscience. Dans le Gan ’Eden aussi, l’homme entre dans un état de conscience altérée après avoir consommé de quelque chose. Il s’agit bien entendu du fruit défendu. (Béréchit 3:6) « וַתִּקַּח מִפִּרְיוֹ, וַתֹּאכַל; וַתִּתֵּן גַּם-לְאִישָׁהּ עִמָּהּ, וַיֹּאכַל » - « elle cueillit de son fruit et en mangea; puis en donna à son époux, et il mangea ». La vigne serait donc l’équivalent de l’Arbre de la Connaissance.
Cependant, il y a une différence, un décalage notable. Dans le cas de Noa’h, c’est l’homme qui s’est créé son propre « fruit défendu ». Il a planté sa vigne et a produit son vin. Le vin n’existe pas à l’état naturel, il faut conserver le produit de la vigne dans certaines conditions pour qu’il devienne du vin qui enivre et qui donne cet état d’inconscience… Tandis qu’Adam a mangé un fruit dans son état brut, naturel. La propriété « enivrante » de son fruit y a été mise directement par D.ieu…

5.       « וַיִּתְגַּל, בְּתוֹךְ אָהֳלֹה » - « il se dénuda dans sa tente »
Noa’h se dénude, sans aucune honte de son état nu. Cela nous rappelle forcément l’état « nu » des Hommes avant la faute qui ne leur procurait aucune honte (Béréchit 2:25) :
« וַיִּהְיוּ שְׁנֵיהֶם עֲרוּמִּים, הָאָדָם וְאִשְׁתּוֹ; וְלֹא יִתְבֹּשָׁשׁוּ » - « Or ils étaient tous deux nus, l'homme et sa femme, et ils n'en éprouvaient point de honte ».

On a vraiment l’impression de revivre l’histoire de l’Arbre de la Connaissance dans le monde d’après le déluge, le monde de la recréation, celui de l’homme :
-          L’homme s’occupe à créer
-          L’homme plante l’arbre
-          L’homme fabrique son fruit interdit
-          L’homme déclenche son état d’inconscience
-          L’homme se déshabille dans sa tente…

6.       « וַיְכַסּוּ אֵת עֶרְוַת אֲבִיהֶם » - « Il couvrirent la nudité de leur père »
Dans l’histoire d’Adam et ’Hava, la nudité aussi est couverte à la fin. Par qui est-elle couverte ? Par D.ieu Lui-même (Béréchit 3:21) : « וַיַּעַשׂ ה׳ (...) כָּתְנוֹת עוֹר--וַיַּלְבִּשֵׁם » - « D.ieu leur confectionna des vêtements et les habilla ».
Dans le monde post-déluge, ce n’est plus D.ieu qui couvre la nudité de l’homme, mais un autre homme ; en l’occurrence, les fils de Noa’h.

7.       « וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ, וַיֵּדַע אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן » - « Noa’h se réveilla de son ivresse et prit conscience de ce que lui avait fait son jeune fils »
Noa’h prend conscience, en deux temps, de tout ce qui s’est passé. C’est aussi ce qu’ont vécu Adam et sa femme (Béréchit 3:7) « וַתִּפָּקַחְנָה עֵינֵי שְׁנֵיהֶם, וַיֵּדְעוּ כִּי עֵירֻמִּם הֵם » - « Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu'ils étaient nus ». La prise de conscience est différente, nous y reviendrons plus tard.

8.       « וַיֹּאמֶר, אָרוּר כְּנָעַן » - « Il dit : maudit soit Cana’an »
On a déjà relevé l’étrangeté de la malédiction d’un homme par un homme. Seul D.ieu est normalement habilité à proférer ce genre de malédiction. Comme il l’a d’ailleurs fait au serpent (Béréchit 3:14) « וַיֹּאמֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶל-הַנָּחָש ׁ... אָרוּר אַתָּה » - « D.ieu dit au serpent : maudit sois-tu ».
Noa’h a l’air de sortir de son rôle. Dans cette histoire, Noa’h joue le rôle d’Adam ou de ’Hava ou peut-être même des deux. Il mange du fruit, il se dénude, il se rend compte de sa nudité, il se couvre etc. Mais là, il prend le rôle de D.ieu en maudissant Cana’an. En effet, qui maudit le serpent ? Ce n’est ni Adam, ni ’Hava ; mais D.ieu !
En réalité, on a vu qu’au début de l’histoire, Noa’h avait déjà pris le rôle de D.ieu en créant, en plantant la vigne. Puis, il reprit le rôle de l’homme et maintenant c’est à nouveau à D.ieu qu’il joue…
Dans cette histoire de Noa’h et la vigne, Noa’h semble avoir un rôle ambivalent Homme-D.ieu. Pourquoi cela ? Comment l’expliquer ? Nous y reviendrons.

9.       « עֶבֶד עֲבָדִים, יִהְיֶה לְאֶחָיו » - « il sera l’esclave des esclaves pour ses frères »
Et la malédiction est similaire avec celle du serpent. De même que le serpent devient un animal subalterne (Béréchit 3:14) « אָרוּר אַתָּה מִכָּל-הַבְּהֵמָה, וּמִכֹּל חַיַּת הַשָּׂדֶה » - « sois maudit parmi tous les animaux », la descendance de Cana’an est maudite par la servitude aux frères de ’Ham. Noa’h dit à ’Ham: « tu m’as enlevé la possibilité d’avoir un quatrième enfant qui me servirait, eh bien, ton quatrième enfant sera maudit, il servira tes frères ».

Comment comprendre ces comportements de Noa’h ? Qu’est-ce qu’ils signifient ? Sont-ils justes ? La Torah elle-même va nous aider à répondre à ces questions.

En effet, rappelez-vous, nous avons vu la dernière fois, que l’histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden est écrite en atbach. Eh bien, je crois bien que celle de Noa’h et la Vigne est également écrite en atbach. Voyons cela…

Un chiasme dans la vigne

Le chiasme commence et se termine par les toldot – générations. C’est la partie la plus facile à trouver :

Début de l’histoire (Béréchit 9:19):
יט שְׁלֹשָׁה אֵלֶּה, בְּנֵי-נֹחַ; וּמֵאֵלֶּה, נָפְצָה כָל-הָאָרֶץ. 
19 Ce sont là les trois fils de Noa’h ; et à partir  d’eux, toute la terre fut peuplée.
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Fin de l’histoire (Béréchit 10:1):
א וְאֵלֶּה תּוֹלְדֹת בְּנֵי-נֹחַ, שֵׁם חָם וָיָפֶת; וַיִּוָּלְדוּ לָהֶם בָּנִים, אַחַר הַמַּבּוּל. 
1 Voici la descendance des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, à qui des enfants naquirent après le Déluge.


Ensuite, on a toutes les actions de Noa’h : il commence, il plante, il boit, il se dénude. En face de cela, on retrouve la fin de sa vie, une sorte de résumé. On retrouve d’ailleurs des mots quasi-identiques entre le début de Noa’h (« וַיָּחֶל נֹחַ ») et sa fin (« וַיְחִי נֹחַ ») :

Début (Béréchit 9:20-21)
כ וַיָּחֶל נֹחַ, אִישׁ הָאֲדָמָה; וַיִּטַּע, כָּרֶם. 
20 Noé, d'abord cultivateur planta une vigne.
כא וַיֵּשְׁתְּ מִן-הַיַּיִן, וַיִּשְׁכָּר; וַיִּתְגַּל, בְּתוֹךְ אָהֳלֹה. 
21 Il but de son vin et s'enivra, et il se mit à nu au milieu de sa tente.
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Fin (Béréchit 9:28-29)
כח וַיְחִי-נֹחַ, אַחַר הַמַּבּוּל, שְׁלֹשׁ מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה. 
28 Noé vécut, après le Déluge, trois cent cinquante ans.
כט וַיִּהְיוּ, כָּל-יְמֵי-נֹחַ, תְּשַׁע מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה; וַיָּמֹת.  {פ}
29 Toute la vie de Noé avait été de neuf cent cinquante ans lorsqu'il mourut.

Continuons. On a ensuite deux grosses sections qui constituent d’une part les actions des frères, et d’autre part les conséquences de ces mêmes actions.

Début (Béréchit 9:22-23)
כב וַיַּרְא, חָם אֲבִי כְנַעַן, אֵת, עֶרְוַת אָבִיו; וַיַּגֵּד לִשְׁנֵי-אֶחָיו, בַּחוּץ
22 Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et alla dehors l'annoncer à ses deux frères.
כג וַיִּקַּח שֵׁם וָיֶפֶת אֶת-הַשִּׂמְלָה, וַיָּשִׂימוּ עַל-שְׁכֶם שְׁנֵיהֶם, וַיֵּלְכוּ אֲחֹרַנִּית, וַיְכַסּוּ אֵת עֶרְוַת אֲבִיהֶם; וּפְנֵיהֶם, אֲחֹרַנִּית, וְעֶרְוַת אֲבִיהֶם, לֹא רָאוּ
23 Sem et Japhet prirent la couverture, la déployèrent sur leurs épaules, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père, mais ne la virent point, leur visage étant retourné.
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Fin (Béréchit 9:25-27)
כה וַיֹּאמֶר, אָרוּר כְּנָעַןעֶבֶד עֲבָדִים, יִהְיֶה לְאֶחָיו
25 et il dit : "Maudit soit Canaan! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères!"
כו וַיֹּאמֶר, בָּרוּךְ ה׳ אֱלֹקֵי שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹ
26 Il ajouta: "Soit béni l'Éternel, divinité de Sem et que Canaan soit leur esclave,
כז יַפְתְּ אֱלֹקִים לְיֶפֶת, וְיִשְׁכֹּן בְּאָהֳלֵי-שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹ
27 que Dieu agrandisse Japhet! Qu'il réside dans les tentes de Sem et que Canaan soit leur esclave!

En faisant un petit peu attention, on se rend compte que chacune des deux sections ci-dessus peut être subdivisée en trois morceaux chacun en face de l’autre :
-          Action de ’Ham ; et la conséquence : sa malédiction
-          Action de ’Ham vis-à-vis de ses frères ; et la conséquence dans la relation vis-à-vis de ses frères. Les noms de Chem et Yefeth ne sont pas mentionnés, ils sont appelés par leur qualité de frère de ’Ham.
-          Action de Chem et de Yefeth ; et la conséquence : leur bénédiction. Les noms de Chem et Yefeth sont maintenant mentionnés.

Nous voici maintenant au centre du atbach :

יט שְׁלֹשָׁה אֵלֶּה, בְּנֵי-נֹחַ; וּמֵאֵלֶּה, נָפְצָה כָל-הָאָרֶץ. כ וַיָּחֶל נֹחַ, אִישׁ הָאֲדָמָה; וַיִּטַּע, כָּרֶם. כא וַיֵּשְׁתְּ מִן-הַיַּיִן, וַיִּשְׁכָּר; וַיִּתְגַּל, בְּתוֹךְ אָהֳלֹה. כב וַיַּרְא, חָם אֲבִי כְנַעַן, אֵת, עֶרְוַת אָבִיו; וַיַּגֵּד לִשְׁנֵי-אֶחָיו, בַּחוּץ. כג וַיִּקַּח שֵׁם וָיֶפֶת אֶת-הַשִּׂמְלָה, וַיָּשִׂימוּ עַל-שְׁכֶם שְׁנֵיהֶם, וַיֵּלְכוּ אֲחֹרַנִּית, וַיְכַסּוּ אֵת עֶרְוַת אֲבִיהֶם; וּפְנֵיהֶם, אֲחֹרַנִּית, וְעֶרְוַת אֲבִיהֶם, לֹא רָאוּ. כד וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ; וַיֵּדַע, אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן. כה וַיֹּאמֶר, אָרוּר כְּנָעַן:  עֶבֶד עֲבָדִים, יִהְיֶה לְאֶחָיו. כו וַיֹּאמֶר, בָּרוּךְ ה׳ אֱלֹקֵי שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹ. כז יַפְתְּ אֱלֹקִים לְיֶפֶת, וְיִשְׁכֹּן בְּאָהֳלֵי-שֵׁם; וִיהִי כְנַעַן, עֶבֶד לָמוֹכח וַיְחִי-נֹחַ, אַחַר הַמַּבּוּל, שְׁלֹשׁ מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה. כט וַיִּהְיוּ, כָּל-יְמֵי-נֹחַ, תְּשַׁע מֵאוֹת שָׁנָה, וַחֲמִשִּׁים שָׁנָה; וַיָּמֹת. א וְאֵלֶּה תּוֹלְדֹת בְּנֵי-נֹחַ, שֵׁם חָם וָיָפֶת; וַיִּוָּלְדוּ לָהֶם בָּנִים, אַחַר הַמַּבּוּל.    

Le centre du chiasme de l’histoire de Noa’h et la Vigne est le verset suivant (Béréchit 9:24):
כד וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ; וַיֵּדַע, אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן. 
24 Noé, réveillé de son ivresse, connut ce que lui avait fait son plus jeune fils,

Centres de chiasmes

Une des clés de comparaisons entre deux histoires toutes les deux écrites en atbach est la comparaison de leurs centres respectifs.

Quel est le centre du chiasme de l’histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden ?
Comme nous l’avons vu la dernière fois, il s’agit du verset (Béréchit 3:7) :
ז וַתִּפָּקַחְנָה, עֵינֵי שְׁנֵיהֶם, וַיֵּדְעוּ, כִּי עֵירֻמִּם הֵם; וַיִּתְפְּרוּ עֲלֵה תְאֵנָה, וַיַּעֲשׂוּ לָהֶם חֲגֹרֹת. 
7 Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s'en firent des pagnes.

Incroyable ! Les centres de ces deux atbach sont extrêmement ressemblants. On retrouve la même idée de prise de conscience en deux étapes, et utilisant le même terme de « וַיֵּדַע » - « וַיֵּדְעוּ ».

Mais il y a une grande différence entre ces deux centres : Adam et ’Hava prennent conscience de leur nudité ; tandis que Noa’h prend conscience de ce que lui a fait son fils. Cette différence, qui peut paraître mineure est essentielle pour comprendre les réactions de Noa’h.






Conclusion


Il y a un problème, dans cette histoire de Noa’h, c’est que ce dernier a un rôle ambivalent, comme nous l’avons vu. Tantôt il joue le rôle d’Adam, tantôt celui de D.ieu.
Comment ce mal est-il arrivé ? Qui a bu le vin et s’est dénudé dans sa tente ? C’est Noa’h ! C’est lui qui est à l’origine de ces malheurs. Mais d’un autre côté, qui maudit, qui bénit, qui joue les arbitres ? C’est toujours Noa’h !
Noa’h est à la fois la personne qui a mangé du fruit interdit et celle qui regarde la scène de l’extérieur et de qui on attendrait qu’il énonce un jugement objectif sur les trois personnes qui ont agit. Quel challenge !

Cependant, Noa’h reste un homme, après tout ; et il juge subjectivement. Il rate son défi. En effet, au lieu de voir une situation (à savoir la nudité), il voit ce qui lui a été fait, il voit ’Ham. Noa’h ne voit que le « serpent » de son histoire. Et il a une réaction disproportionnée : il bannit Cana’an à tout jamais, alors qu’il n’a rien fait, c’est son père qui a fait le mal. Et qui est Cana’an ? Son propre petit-fils ! Noa’h bannit donc sa propre descendance ! Comment Noa’h en est-il arrivé là ?

Eh bien, c’est exactement le même problème que celui qui s’est posé à Adam et ’Hava lorsqu’ils ont cédé et mangé du fruit. Noa’h a été attaqué dans sa capacité à créer et il a réagit en manquant de lucidité : c’est le voile du désir, le voile du tov et du ra’ qui fait son effet. Noa’h doit se dire que, bien sûr, ce qu’il fait est juste, vrai ; c’est ce que D.ieu a fait au serpent dans une situation similaire, n’est-ce pas ?

Alors, ce que Noa’h fait : est-ce vraiment de la justice ? Ou serait-ce plutôt de la vengeance ?
Ca ressemble tellement à de la justice, à de la justice divine, même, qu’on pourrait s’y tromper ! C’est cela l’effet de l’Arbre de la Connaissance. Quand je donne trop d’importance à mes désirs, quand je m’identifie à eux, alors je deviens subjectif dans mon jugement. C’est cela le problème qui s’est posé à Noa’h. Et ce n’est pas de la justice (objective) mais bien de la vengeance (subjective) que Noa’h a appliqué et qui l’a amené à détruire sa propre descendance. C’est cela l’héritage que l’Arbre de la Connaissance a laissé sur l’Humanité.




On a étudié l’histoire de l’Arbre de la Connaissance, et on a vu qu’il y en avait une deuxième du même type, celle de Noa’h et la Vigne. Ces deux histoires sont liées textuellement et structurellement.
Eh bien, il y en a une troisième du même type, encadrée elle aussi par des sections de toldot, liée textuellement et écrite aussi en atbach. Cette troisième histoire va aussi voir des hommes confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui se sont posés à Adam et ’Hava. Cette histoire, les amis, c’est la Tour de Babel.


A la prochaine !

 

Traduit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en 2007. Le titre original de la série est : « Brief History of the World: From Adam to Abraham ».


[1] J’aimerais même aller plus loin et dire qu’Avraham a aussi été confronté aux mêmes dilemmes. J’espère qu’on aura la possibilité d’aborder ce point lors de cette série.
[2] Nous utiliserons plus tard nos outils habituels (intertextualité, atbach) mais attention : ils ne doivent pas remplacer une lecture attentive du pchat ; plutôt, ils doivent en être un complément.
[3] En effet, comment puis-je avoir envie d’avoir des enfants si je ne sais pas de quoi sera fait le monde demain ? Qui  me dit qu’il n’y aura pas un autre déluge dans un an ? Et dans ce cas, qu’adviendrait-il de mes enfants ?
[4] Il existe peut-être une piste dans la manière qu’a la Torah de parler des relations illicites dans le sefer Vayikra : La Torah emploie l’expression : « dévoiler la nudité ». Mais je crois qu’il y a quelque chose de plus profond à relever ici, comme nous allons le voir.
[5] N.d.T – Rav Fohrman ne pose pas explicitement cette question.
[6] C’est peut-être ce qui a poussé Rachi à comprendre le terme « וַיָּחֶל » comme une déclinaison du terme « חולין » - « profane ».
[7] N.d.T – Cours °5.
[8] Cf. cours précédent où nous avons développé entre autres le thème récurrent de la nudité dans cette histoire, ainsi que la différence entre les noms « Icha » (avant la faute) et « ’Hava » (après la faute) ; ainsi qu’une signification de la notion de tsélèm Elokim – image de D.ieu dans le sens où l’homme a la capacité de créer.

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